"Une légère brise souffle sur la ville de Lisbonne.
Le Tage s’écoule, imperturbable, vers l’Atlantique.
J’entends des voix qui résonnent le long des murs recouverts d’azulejos. Elles parlent une langue chaude et douce, qui se plisse, se recroqueville, puis se déroule. Les sonorités latines décorées d’arabesques sont chargées de la mélancolie et de la détermination qui accompagnèrent il y a tant d’années le départ des caravelles.
C’est l’histoire d’un peuple qui ne cesse de partir.
Une identité qui se vit comme déterritorialisée.
Par leurs découvertes, les marins lusitaniens ont « offert le monde au monde ». Orgueil d’un petit peuple qui cherchait la gloire pour exister. Mais funeste destin de ces contrées nouvelles, quand la traite négrière devint la principale finalité de ces aventures.
Le regard perdu vers l’horizon, je pense apercevoir de nouveaux mondes, et je me demande ce qu’il est advenu des caravelles.
J’entends encore ces voix, cette langue qui est comme le remous des vagues.
Ils sont nombreux, finalement, à la parler : Portugal, Brésil, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, São Tomé-et-Príncipe, jusqu’au Timor Oriental. Dans tous ces pays, aux cultures si variées, ils parlent cette langue qui, comme la mer, berce l’âme. Toutes ces anciennes colonies, au passé si humainement tragique, enrichissent de leur culture toute une communauté lusophone.
Finalement, c’est avec cet héritage que les caravelles sont revenues. Car du malheur de ces anciennes colonies est né un métissage culturel passionnant, et transcontinental. Le Brésil en est un exemple étonnant. On retrouve dans sa musique toute l’influence des rythmes africains, de la langue portugaise, des traditions indigènes.
[Le Canto das Três Raças, chanté par Clara Nunes, illustre très bien le mélange culturel du Brésil]
Curieusement, cet aspect musical de la lusophonie est très présent en France. L’attrait des Français pour les musiques du monde en est une raison probable. Que l’on songe au succès d’une Césaria Evora, d’un Gilberto Gil, d’une Cristina Branco, et dans une moindre mesure, de Bonga Angola, Mayra Andrade ou Flavia Coelho, qui tous ont leur public en France! Pourtant, même s’il nous est plaisant de danser sur les rythmes brésiliens, angolais ou encore capverdiens, que connaissons-nous réellement de leur culture, de leur histoire, de leur pays? Malheureusement, peu de choses…
[En témoigne la présence de Cesaria Evora, capverdienne, et Bonga Angola, angolais, chantant ensemble le morceau Saudade sur un plateau de télévision français.]
Cependant, en 2015, la plupart des pays lusophones d’Afrique fêteront les quarante ans de leur indépendance. Un pays comme l’Angola prend de plus en plus d’importance dans la vie du continent africain, sans pour autant connaître de réel progrès démocratique. De son côté, le Mozambique procède à une élection présidentielle bien compliquée, faisant craindre le retour d’une guerre civile qui déjà a fait des ravages dans les vingt dernières années qui ont suivi l’indépendance du pays.
Malgré des situations dramatiques, des initiatives existent, des décisions sont prises, des actions sont faites pour les populations, donnant l’espoir, tout de même, d’un futur meilleur. A São Tomé-et-Príncipe, par exemple, la première université publique vient d’ouvrir le mois dernier.
Alors que je fixe un lointain voilier sur l’océan, je perçois une légère mélodie de guitare portugaise. J’entends claquer des draps aux fenêtres. Et, toujours le doux chuintement de la langue portugaise, si discrète, si riche!
Oui, les caravelles sont revenues, ramenant avec elles un monde nouveau, celui de la lusophonie. C’est mon monde à moi, partagé dans le même temps par des millions de locuteurs sur tous les continents. La beauté d’une langue qui s’est faite monde. Tantôt souriante au Brésil, chaleureuse en Angola, mélancolique au Portugal, une langue comme un océan, qui nous transporte d’aventures en aventures et de découvertes en découvertes.
Les caravelles sont revenues avec, dans leur ventre, un monde entier où je me sens chez moi. Et chez moi, c’est cette lusophonie et cette saudade qui m’accompagnent partout. Les mêmes qui ont accompagné mes grands-parents du Portugal à l’Angola, puis en France. Et qui m’accompagnent aussi, Français et Portugais, naviguant régulièrement entre les deux pays.
Face à moi, je regarde l’océan. La légère brise de fin d’après-midi s’est tue, et avec elle le doux murmure des rues lisboètes. Le Tage, lui, continue sa route vers l’océan, imperturbable, emportant avec lui la douce langueur des arabesques lusitaines."
extrait du site de Christopher Pereira lusafrica.mondoblog
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