À partir de photos d’identité prises par la police politique portugaise pendant la dictature, Susana de Sousa Dias poursuit son travail commencé il y a quinze ans sur la possibilité de représenter une histoire refoulée, de rendre compte de tortures effacées. L’une des photos frappe tant elle sort du protocole judiciaire. Une mère tient son bébé sur les genoux. Son visage, de trois-quarts contrairement à la frontalité de rigueur, est flouté par le mouvement et à demi-caché par l’enfant. Ce punctum subjectif sur un document officiel contient la question centrale de ce film dont la bande-son est constituée des témoignages des proches d’un militant communiste assassiné : comment l’autoritarisme s’insinue-t-il jusque dans l’intimité d’une famille ? Les méthodes de la PIDE avaient la particularité de se fonder sur les valeurs salazaristes : la famille prévalant sur le citoyen dans l’organisation de la société, Alvaro, Rui et Isabel, les enfants d’Octavio Pato, étaient eux-mêmes photographiés comme prisonniers dans la cour ou au parloir. Fils de mères différentes, ils ne se rencontrent que tard dans leur enfance ; l’un ne « réalise que [s]on père existe » qu’à l’âge de 9 ans, l’autre n’a « jamais vu le bas de son corps » au parloir ; Isabel ne connaît sa mère qu’à l’adolescence. À mesure que d’autres figures émergent de l’ombre et que les archives d’État pallient ironiquement le manque de photos familiales, la cinéaste trouve une forme qui restitue au plus juste cette identité familiale généalogiquement, historiquement et physiquement fracturée. (Charlotte Garson)
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