Rencontre avec Aurore Pinto, qui habite à Mutzig. Au début des années 60, son père a quitté le Portugal et a rejoint seul la France pour trouver du travail.
Deux valises en carton sur la terre de France, un Portugais vient de quitter son Portugal… Les paroles de la chanson de Linda de Suza sont en parfaite résonance avec l’histoire de Tomas Feliciano. « Sauf que lui, il est allé jusqu’en France à pied, et pas en train comme Linda de Suza ! », commente Aurore Pinto en riant. La fille aînée d’une fratrie de six enfants, âgée de 59 ans, raconte, avec mélancolie et tendresse, les sacrifices faits par son père aujourd’hui âgé de 87 ans, pour donner une vie meilleure à sa famille.
En 1964, Tomas Feliciano décide de quitter son petit village de Freixo, près d’Almeida. Il laisse derrière lui sa femme, Maria Candida Lourenço, et ses cinq enfants.
Huit ans seul en France
Tomas est parti avec neuf personnes. Il a traversé l’Espagne à pied et a mis plus d’une semaine avant de franchir la frontière française. Il est resté huit ans seul en France. Il ne voyait sa femme et ses enfants que lorsqu’il retournait au Portugal pour les vacances. Une absence douloureuse pour la famille. « Je n’ai pas vu mon père pendant un an et demi », se souvient Aurore. « Parfois, on est même resté plusieurs mois sans nouvelles ». Tomas a d’abord trouvé du travail dans le bâtiment, à Arpajon, en Essonne (91). L’Alsace, il ne s’y rendra qu’en 1972.
C’est grâce à une connaissance de son village natal domiciliée à Urmatt que toute la famille a fini par s’installer dans la région. Cette personne avait besoin d’une baby-sitter. Tomas Feliciano a donc fait venir sa fille Aïda. Un mois plus tard, Aurore et sa mère ont quitté le Portugal à leur tour pour les rejoindre. Ses deux frères sont arrivés quelques mois après. C’est par cette même personne que Tomas a trouvé du travail à la scierie Siat Braun, où il est resté jusqu’à sa retraite en 1983.
Aurore n’a donc pas choisi de quitter le Portugal. Et ce déracinement reste, plusieurs décennies plus tard, toujours un souvenir déchirant. « J’avais quatorze ans. J’abandonnais ma famille, mes tantes, mes cousins », se remémore-t-elle, la gorge légèrement nouée. Encore aujourd’hui, elle est hantée par une image : « J’ai quitté le village à bord d’une camionnette. Quand je me suis retournée, j’ai vu mon petit-cousin nous courir après… »
« On a été très bien accueillis »
Mais la famille a su se reconstruire et s’intégrer en France. « On a été très bien accueillis », sourit Aurore. Elle confie cependant qu’aujourd’hui, l’accueil serait moins chaleureux. « Les gens sont méfiants à cause du chômage ».
Ses parents se sont liés d’amitié avec quelques familles portugaises installées elles aussi en Alsace. Ils ont aussi eu leur dernier enfant, Filip. À 17 ans, Aurore a rencontré Amilcar Pinto, Portugais lui aussi, dont la famille habitait à Obernai. « On ne s’est jamais quittés depuis. » De cette union sont nés trois enfants ; David (34 ans), Céline (29 ans), Paul (27 ans), et une petite-fille, Nyléa (19 mois).
Aurore aime la France, son « deuxième pays », et se plaît beaucoup en Alsace. « On a tout visité ! », chante-t-elle. Ses trois frères et ses deux sœurs sont aussi restés dans la région où ils ont fondé leur famille. Mais tous les ans, elle retourne au Portugal voir sa belle-famille. Les parents d’Amilcar, eux, ont quitté la France pour retourner vivre au Portugal.
Aurore a la double-nationalité, contrairement à ses parents qui n’ont jamais été naturalisés. Elle se sent bien en France, mais elle essaie de préserver ses racines portugaises. «Je dis souvent à mes enfants de ne pas oublier d’où ils viennent». Elle cuisine notamment régulièrement des plats portugais. Sa spécialité ? Le gratin de morue à la crème. « Si on parle du Portugal, on parle forcément de la morue ! », blague-t-elle. Son gratin est le plat préféré de ses enfants. « Et tous mes amis français en raffolent ! ». Ce sont même eux qui lui demandent de cuisiner portugais lorsqu’elle les reçoit. Autre pêché mignon : le « cozido » à la portugaise, pot-au-feu qui « ressemble un peu à la potée alsacienne ».
En musique, elle est fan du chanteur de variété Tony Carreira, le « Johnny Halliday portugais ». Elle essaie de le voir en concert quand il passe dans la région. Et bien entendu, elle aime le fado, genre musical portugais qui prend la forme d’un chant mélancolique. Mais elle en écoute à petite dose, car c’est « de la musique triste », rajoute-t-elle.
Série consacrée aux familles issues de l’immigration - de Dernières Nouvelles D'Alsace http://www.dna.fr/
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