Voyageur portugais à l’arrivée du train Hendaye-Paris en gare d’Austerlitz , Paris 1966 © Gérald Bloncourt Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI
Le Sul Expresso de la Compagnie portugaise (CP) traverse la péninsule Ibérique depuis plus de cent vingt-six ans. C'est la Compagnie internationale des wagons-lits créée en 1876 qui est à l'origine des premières voitures-litsqui permettaient de voyager sur de longues distances dans de bonnes conditions. Ces trains luxueux dénommés les “Grands Express européens” étaient fréquentés par l'aristocratie européenne qui allait se pavaner dans les salons de thé de Biarritz.
7En 1884, la Compagnie projette de mettre en circulation le Nord-Sud-Express capable de joindre sept capitales européennes sur une distance de 4834 km en moins de 83 heures. L'échec de ce premier projet donnera naissance au Sud-Express, qui effectue ses premiers trajets en octobre 1887. Il relie la gare d'Austerlitz à Irun, avec des correspondances pour Lisbonne et Madrid.
À partir des années 1950, la démocratisation des moyens de transport et les vagues d'immigration portugaise et espagnole augmentent le trafic, d'où la nécessité de prévoir des trains de plus grandes capacités. La longueur du Sud-Express est donc augmentée, devenant le train nocturne capable de transporter le plus de personnes en Europe (jusqu'à 600). Par ailleurs, deux trains supplémentaires vers l'Espagne sont créés pour assurer les liaisons vers Madrid ou Salamanque. Dans les années 1990, les trajets effectués sur le territoire français sont progressivement assurés par la SNCF. Le Sud-Express prend le relais à Irun, ce qui oblige les passagers à changer de train pour poursuivre jusqu'à la gare de Santa Apolonha à Lisbonne. En raison de la vétusté du train et du manque de sécurité, les anciens wagons sont remplacés en 2010 par un véhicule espagnol de la compagnie Renfe qui n'autorise plus la circulation de matériel portugais sur son territoire. Ce changement et les possibles mesures de privatisation des lignes ferroviaires menacent l'avenir de ce train qui transporte avec lui la mémoire de l'immigration portugaise vers la France.
Immigrés portugais, train Hendaye-Paris, 1965 © Gérald Bloncourt, Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI
L'histoire du Sud-Express est intimement liée aux grandes vagues d'immigration portugaise vers la France au cours desquelles sont arrivés environ 900 000 Portugais entre 1963 et 1974. Il fut le principal moyen de transport utilisé par cette masse de travailleurs à la recherche d'opportunités économiques. Alors que l'immigration vers la France était principalement composée d'Espagnols et d'Italiens, à partir de 1962, les flux de travailleurs portugais croissent de façon massive, représentant 53 % des migrants sur un total de 255 000 arrivées. Cette exportation de la main-d'œuvre portugaise était fortement soutenue par une politique de “portes ouvertes” de la part de l'Estado Novo qui voyait dans l'immigration un facteur positif de développement économique et de modernisation du pays.
Durant cette période de flux intenses, une grande majorité des immigrés portugais ont traversé le Portugal et l'Espagne et sont arrivés en France par le Sud-Express. Cette génération de migrants aura 68 ans entre 1995 et 2013. Ayant quitté le Portugal entre les années 1960 et 1970, beaucoup d'immigrés ne pensaient pas rester en France.
Flot d’immigrés qui arrivent du Portugal, transit à Hendaye, dans le train, 1965 © Gérald Bloncourt, Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNH
Comme son collègue de travail Adelino, Joaquim est arrivé en France par le Sud-Express au début des années 1970. Tous deux se souviennent de leur premier voyage avec une joyeuse nostalgie : “À l'époque, il n'y avait rien dans le wagon, juste un espace vide où s'entassaient les bagages et les passagers, on avait les bras chargés de bouteilles de vin, de jambon et d'huile d'olive”. Tout comme aujourd'hui, les nuits dans le Sud-Express étaient très alcoolisées. “Un jour, un Hollandais nous a vus boire du vin et du whisky, il s'est mis à boire comme nous et comme il prenait des médicaments, en arrivant à la frontière, il était ivre mort dans les toilettes”, raconte Joaquim en gloussant.
Lire l’intégralité de « La fin d’un train et des fins de vie », Hommes et migrations, 1302 | 2013, 162-168 de Léa Barreau-Tran sur
Commentaires