Il est souvent difficile de parler d’un pan de sa vie, sans que certaines émotions furtives viennent se glacer sur la page, mais comment ne pas parler de celle de « l’enfant de la concierge ».
Ma mère Irène Coelho Borges, petit bout de femme d’un mètre 58, dont la force et volonté de travail étaient aussi impressionnants qu’une armée de 10.000 hommes, arriva en France en février 1967 avec le souhait de rester quelques années pour repartir ouvrir son salon de couture du coté de Lisbonne.
Son destin la fit croiser les pas d’un Minhoto de Ponte de Lima, mon père, et l’obligea à transformer ses rêves de retour au pays en ceux de mère de famille.
Sa « patronne » de l’époque fit en sorte de lui trouver la loge d’un immeuble cossu du 17eme arrondissement dont sa petite superficie était lugubre, avec une seule fenêtre, voyant les toilettes et la « douche » en dehors de « l’appartement de fonction » puisqu’ils étaient à la cave.
Ma mère en fit un nid indéfinissable d’amour, ne pouvant cependant enlever les barreaux aux fenêtres de la porte d’entrée de couleur marron qui traverse encore ma mémoire d’homme.
Nous sommes restés 4 ans avant d’être parachutés dans les beaux quartiers de Neuilly sur Seine en 1976. Un immeuble magnifique, bourgeois et de taille humaine qui vit arriver « La famille DA SILVA ». Tel un métronome la journée était rythmé par les impondérables quotidiens. De la sortie des poubelles à 7heures, à la réception des clefs, colis en tout genre, dérangements à n’importe quelle heure, notre vie était à « la merci » de l‘emploi du temps de la femme aux « trois poumons ».
Combien de « oui madame, bien madame », ai-je entendu, combien de sonnerie à 22h ou minuit « désolé, j’ai oublié mes clefs, vous n’avez pas du pain ou une pomme » ont déferlé, sans aucune retenues, combien ? Mais au travers de ces lignes, malgré la dureté et parfois l’injustice de moments que j’ai pu vivre, j’ai connu le dévouement, la volonté de faire bien son travail, le fait d’être irréprochable et de ne pas faire de vagues. Au hit parade des phrases à double sens le « elle est gentille Maria Irène », la dévotion de « celle qui ne dit jamais non » atteignait des sans limites, la gardienne préparant souvent des petites soupes aux personnes de l’immeuble qui rentraient de vacances et qui avaient le réfrigérateur vide (n’oubliant pas d’accompagner d’une salade de tomates et d’un gâteau au chocolat).
Ma mère fut un exemple de caractère, de don de soi, cette loge un endroit où malgré les 36 m2 où nous vivions tous les 4, devenait un phare familial où nous nous réunissions oncles, tantes et cousins le dimanche, ainsi que jours fériés autour des plats de notre Portugal et soulevant les commentaires du lendemain « Maria Irène, nous sommes passés dans le hall hier et il y avait une magnifique odeur de cuisine ? Qu’avez-vous fait cette fois ? « Trois fois rien madame, quelque chose de simple » oubliant de préciser que sa simplicité culinaire était souvent un doux euphémisme.
Nous avions transformé, nous les fils de la concierge, notre boulevard en terrain de jeu où nous inventions des matchs de football avec les fils des personnes où ma mère et mon étoile étaient gardiennes et d’autres encore.
Il m’arrive parfois de passer devant la grille de ces adresses, riches à ma vie, où mon regard d’adulte me permet de penser que grâce à cette concierge et ses sacrifices, ses fils ont pu faire des études, grâce à cette gentillesse et lumière qu’elle a pu dégager tout au long de sa vie et dans ses loges respectives, elle nous donna, mon frère et moi une force indélébile, celle de la compassion.
Je n’ai aucune amertume d’être le fils de la concierge, peut être des questions qui resteront sans réponses mais je pense pouvoir exprimer un sentiment de gratitude vis-à-vis de ma mère et de son être pour tout ce qu’elle a pu montrer devant des situations difficiles, ingrates et parfois injustes.
Ma mère est un exemple et être son fils, « le fils de la concierge », une fierté.
Victor DA SILVA
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