« FILLE DE GARDIENNE TU ES, GARDIENNE TU SERAS »
Bah non, vieille adage ce n'est pas forcément vrai ce petit présage
En 1972, mon grand-père décide de fuir, comme la plupart des Portugais, le beau et merveilleux Portugal, et oui le mot juste est fuir car avec Salazar au pouvoir la vie n’était pas forcément rigolote pour tout le monde.
Après avoir traversé, enjambé, sauté et survécu à tout ce périple, le voilà arrivé dans la banlieue de Villejuif … il y commence un petit job dans une entreprise de métaux, 2 ans après ma grand-mère le rejoint accompagnée de sa première fille … ma maman Angela.
Ma grand-mère commence à travailler dans une usine de saucisses pendant que la petite Angela était gardée par d’autres familles de Portugais en attente de travail.
Et puis un jour, un poste de concierge se libère à la capitale !
15 rue poussin dans le très chic XVIe arrondissement! Quelle aubaine, ni une ni deux mes grands-parents décident de prendre le poste surtout que Maria (et oui c'est ma grand-mère) venait tout juste de perdre son poste à l'usine.
Voilà que la famille Dos Santos s'installe alors dans une petite loge d'une quinzaine de mètres carrés. Pas de douche, pas de lavabos, comment on prend la douche ? Bah dans une bassine pardi est dès que le “sabão rosa” a bien moussé, mamie Maria déverse une bassine d’eau tiède pour rincer tout ça.
Dans cette petite loge beaucoup de choses se sont passé, une deuxième fille est née Maria Joao (ma tata), des Noël à quinze sans avoir d’espace pour bouger, mais ce n'était pas grave, la nourriture était sur la table, la famille était assise autour, et c’est tout ce qui comptait.
Et puis en 1996, Angela décide elle aussi de devenir gardienne, j'avais 6 ans, elle a sacrifié sa carrière de coiffeuse pour s'installer elle aussi dans le XVIe arrondissement au 37 rue D'Auteuil afin que ma petite sœur et moi-même puissions bénéficier des meilleures écoles que la capitale pût nous donner.
Honte de ça !? Moi jamais.
J’ai aidé ma maman à faire les escaliers, à monter le courrier, à nettoyer l’entrée de l'immeuble, à faire les cuivres, sans jamais avoir honte, mais oui parce que j'étais fière d'aider ma mère.
Je crois même que ce sentiment qu’on appelle « fierté » est purement Portugais.
Je suis fière d'avoir eu comme base une éducation simple, basée sur le respect, la bienveillance et le bonheur car oui, malgré la petite loge à partager à quatre, bah on y était heureux. Un jardin ? Bah oui, la cour de l'immeuble faisait office de grand jardin bétonne où ma sœur et moi imaginions tout un tas d'histoires et de bêtises à faire. Je me rappelle encore les soirs d'été, juste avant que notre « querido mês de agosto » n'arrive, on se baladait avec nos cousins et parents au bois de Boulogne et on terminait la soirée les adultes dans la loge et les enfants dans la cour à sauter à la corde et à jouer au ballon de foot.
Attention, je ne peux pas dire que tout ça a été facile tous les jours, car plus les années passaient et plus la « petite cage dorée » devenait serrée, la douche dans la cuisine, les toilettes dans la cour et oui je ne vous dis pas la trouille que j'avais quand je devais y aller durant la nuit, parfois je préférais souffrir plutôt que de m'aventurer dans cette cour ! C'était aussi mon refuge pour étudier car pas d'espace pour faire les devoirs ou réviser, c'était le seul espace où on pouvait être réellement seul. Et oui, car pas de chambre, le dodo avec ma sœur sur une mezzanine et mes parents sur le clic-clac juste en dessous, je ne vous dis pas le niveau d’intimité tant pour eux que pour nous.
Ce que je souhaite faire passer comme message c’est que même si toute cette génération n'était pas prédestinée à devenir « concierge » car beaucoup d'entre eux étaient diplômés de grandes écoles et pouvaient endosser des postes très importants et bien ils se sont simplement et humblement assujetti à ce poste-là, sans jamais rien attendre en retour mais juste pour procurer à leur famille une meilleure vie, bien mieux que celle qu'ils ne pouvaient avoir au Portugal.
Aujourd'hui je peux dire que je suis fière d'être petite fille et fille de gardienne et plus encore d’ être portugaise, car nous sommes un peuple avec un passé tellement glorieux qui, je suis sûre, a fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui, avec une force, un courage et une soif de réussir que très peu de peuples ont en eux … Mamie, Maman, Merci…
Sarah
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