L’oeuvre de Graça Morais (née à Vieiro, Portugal, en 1948) est vaste, diverse et se décline en de multiples séries et grands formats depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui. Les travaux exposés (1982-2016), principalement des dessins, sont un point de vue sur cette totalité, dépourvu de toute intention de synthèse et traduisant la recherche des indices les plus nets, mais aussi les plus subtils, des thèmes fondamentaux de l’artiste et de l’esprit qui les habite : l’identité du lieu où elle est née, la région de Trás-os-Montes, les valeurs sociales et universelles qu’elle y a trouvées et qui sont le socle de sa pensée et de son action. En cette contrée lointaine, au nord du Portugal, qui subit la rudesse du climat et la cruauté de la distance, de l’abandon et de la pauvreté, Graça Morais a puisé une iconographie sans pareille pour exprimer sa représentation du monde, à laquelle elle est demeurée fidèle. La place singulière de la femme en ce lieu, dans sa condition de faiblesse et de force, auteur et victime de son destin, dotée d’une pulsion hybride et transformatrice est rendue par le persistant recours à la métamorphose.
C’est sans doute pour avoir perçu l’originalité de cette iconographie de nature identitaire que tant de poètes et écrivains portugais ont été attirés par l’oeuvre de Graça Morais. À Miguel Torga et Nuno Júdice s’ajoute une pléiade d’auteurs tels que José Saramago, Vasco Graça Moura, Agustina Bessa-Luís, Maria Velho da Costa, Pedro Tamen, Sophia de Mello Breyner, Manuel António Pina, en un mouvement bivoque où la contamination poétique prend le pas sur l’ordre des disciplines. Nous parlons ici d’une artiste qui possède le don, et c’est le mot juste, de convoquer le territoire de la littérature dans le contexte de la production artistique portugaise, et ce, depuis toujours et de façon constante. Outre des incursions dans l’illustration, Graça Morais a su construire un système d’images propre à éveiller chez les plus brillants écrivains portugais de son temps les élans narratifs qui sont à l’origine d’oeuvres littéraires de premier plan. C’est de la conscience de cette singularité et, dès lors, de l’inversion de la dynamique traditionnelle entre art et écriture qu’est née cette exposition et c’est elle qui a présidé au choix des premières oeuvres.
Choisir uniquement le dessin dans une oeuvre si riche est intentionnel. Dans le dessin, nous trouvons les qualités du sentir lui-même dont parle Jean-Luc Nancy, dans lequel résonne le plus émotionnel abandon de l’artiste : il est la pulsion et la pulsation d’être au monde, et tous les sens, sentiments, sensitivités, sensualités sont les délinéations de cette pulsion et pulsation(…) . (Jean-Luc Nancy, Le plaisir au dessin, Paris, Galilée, 2009) gulbenkian.pt/paris/
Commissaires : Ana Marques Gastão et Helena de Freitas
Exposition ouverte lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 9h à 18h
Samedi et dimanche de 11h à 18h
Entrée libre
Photos de l'exposition, Maria-Yvonne Frutuoso
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